Novembre 2017, nous débutons le projet pendant les vacances scolaires, avec Raphaël, 10 jeunes sont présents au Fablab de l’association MODE83.
Nicolas, médiateur numérique, dessine les contours de cet atelier en proposant plusieurs séances photographie articulées autour d’une recherche avec l’artiste Photographe Raphaël Schott.
Raphael est particulièrement axé sur la réalisation de portraits, il présente ses créations antérieures en évoquant les références qui l’ont inspiré, les grands noms de l’histoire de la photographie. Les jeunes découvrent des univers entiers avec Nadar, Man Ray, Kardelka, Lee Jeffries, puis rentrent dans le concept de sérialité avec Ed Ruscha, en autres.
Raphaël, propose la réalisation de portraits avec la volonté de créer une unité sérielle par la mise en place d’un protocole répétitif de réalisation (cadrages, lumières, postures identiques) avec ce protocole les jeunes pourrons constituer une unité esthétique. Les portraits bruts obtenus servent de matière première à la réalisation d’une œuvre artistique selon différentes techniques d’interprétations assimilables à celles pratiquées par les artistes plasticiens.
Nous abordons avec les jeunes, le phénomène lié à la pratique de selfie, l’image de soi, nous parlons beaucoup d’Instagram, des mises en scène marketing de nos vies privées. Certains pratiquent à outrance, d’autres trouvent cela assez futile, mais tous reconnaissent l’influence sur nos quotidiens (repas de famille, sorties, soirées)
Ici, Raphaël souhaite que les visages des jeunes deviennent des matériaux, il souhaite que les jeunes puissent dépasser leurs traits en jouant avec cette représentation. Résultat, les représentations physiques n’existent plus.
Le lendemain, avec les médiateurs numériques et le logiciel Gimp (idem à Photoshop mais gratuit), Raphaël demande au jeunes de réaliser une symétrie parfaite de leurs profils en utilisant l’outil miroir et les calques.
La journée suivante, les jeunes voient leurs visages affichés sur un grand téléviseur, les médiateurs les enregistrent avec un zoom les réactions des jeunes. L’effet est bluffant, les jeunes voient leurs clones présenter des traits similaires mais des défauts également.
Raphaël Schott, propose un carton rempli de portraits des jeunes, imprimés sur des A4 ou des A3, ces portraits sont à prendre comme une matière première, les jeunes doivent se déchirer et recomposer un visage à l’aide d’une multitude de bouts.
Puis dernier atelier, les portraits sont froissés, reconstruits, malaxés, les jeunes jouent avec des angles, des bosses, des cubes, oubliant leurs visages et s’exprimants de façon décomplexé.
L’artiste est très satisfait, il clôture ces journées par un échange autour des conceptions représentatives, il interroge les jeunes sur l’art, sur la beauté et apporte un regard subjectif artistique, sur chaque composition réalisée.
Cet atelier a eu lieu aux vacances d’automne 2017, puis une semaine pendant les vacances de février et les vacances de printemps 2018.
L’exposition a été préparée durant les vacances d’automne 2018, imprimée en début d’année 2019, elle a été mise en place aux mois de mars, avril, mai 2019 à l’Espace d’exposition du Collège Général Ferrié de Draguignan.
Les Milléniums enfants de la génération Y pour qui déjà le principe suivant s’applique « vivre les moments importants au travers de son smartphone plutôt qu’en profitant de l’instant présent ». Il est impossible de nier la folie des addictions aux réseaux sociaux et la course aux likes. Pour les Milléniums, tout doit être accessible en un clic, depuis n’importe quel appareil connecté ! Il doit y avoir un bon réseau, cela doit aller vite, la patience n’est pas garantie, ici, le portable est indispensable à tout moment, surtout qu’il sert à tout, sauf à appeler. A partir de ce constat l’Artiste Raphaël Schott et l’équipe de médiation numérique à MODE 83 ont voulu réfléchir autour des selfies ou ego-portrait.
La mode du selfie a suscité un certain nombre d’études critiques.
Plusieurs auteurs caractérisent la mode du selfie comme une manifestation narcissique, un irraisonné amour de soi ou de sa propre image, aboutissement de l’individualisme dans les sociétés postmodernes. Par exemple, pendant la campagne présidentielle aux États-Unis en 2016, il est arrivé que l’ensemble du public tourne le dos à la candidate Hillary Clinton afin de réaliser des selfies, attitude qui apparaît comme le comble du narcissisme.
Au milieu des années 2010, des essais explorent la nature de ce « phénomène socio-culturel », d’un point de vue sociologique, esthétique, philosophique, psychologue et moral, et mettent en lumière la manifestation d’une stratégie communicationnelle qui vise à compenser la perte du réel dans une société contemporaine où l’écran est miroir du monde. L’essayiste Jean-Paul Brighelli souligne la différence entre l’autoportrait en peinture et le selfie : « la peinture suppose un travail, une réinterprétation — elle fait œuvre — », permise par une éducation du regard et de la main. Brighelli oppose le selfie, expression narcissique d’un « culte hédoniste de l’instant présent » à l’autoportrait peint, expression d’un travail sur soi-même et de l’insertion dans une culture artistique.
Le selfie lui semble ainsi dériver de la croyance de Rousseau que le soi inéduqué est bon, alors que l’autoportrait peint, dépendant de l’apprentissage d’une tradition picturale, est l’expression d’un soi fondé sur l’assimilation consciente de l’apport de l’autre, tel qu’exploré par Paul Valéry. À l’inverse, l’historien André Gunthert rappelle que l’utilisation de daguerréotypes, à l’époque, a été qualifiée également de pratique narcissique. Il rappelle aussi que les selfies réalisés sont souvent collectifs, loin de l’autoportrait, et incorporent couramment de l’humour et de la dérision. La vraie nouveauté pour lui, c’est que ces images ne sont pas classées dans un album ou accrochées au mur, mais communiquées par réseau. C’est une forme d’expression sociale, un « embrayeur de conversation ».